La mythologie au service du management de la reconnaissance
Lors d’une intervention au sein d’un comité directeur d’une entreprise industrielle, le sujet de la reconnaissance est venu sur la table : « comment reconnaissez vous positivement vos équipiers, comment leur dites vous qu’ils ont bien travaillé ? »
La plupart des chefs de service ont reconnu qu’ils faisaient des feedbacks négatifs quand quelque chose n’allait pas, mais rarement pour noter des réalisations positives, des progrès, ou même simplement pointer le travail de tous les jours réalisé avec conscience professionnelle.
« Je ne vais quand même pas passer mon temps à remarquer quand les gens font tout simplement ce pourquoi ils sont payés » me dit l’un des directeurs.
« L’individu ne reçoit une dimension humaine que par la reconnaissance d’autrui. »
Simone De Beauvoir
Effet Pygmalion
« En quoi est-ce important et est ce plus efficace de noter les avancées et les réalisations positives, plutôt que de remarquer les manques et les erreurs ? Il faut bien montrer ce qui ne va pas pour le corriger » m’ont demandé certains directeurs ?
Une des réponses est à aller chercher du coté de l’expérience menée par le psychologue américain Robert Rosenthal et l’enseignante de San-Francisco Leonore Jacobson en 1963. Cette étude a mis en évidence que le comportement d’un professeur (par extrapolation d’un manager) avait une influence directe sur la performance de l’élève (ou du collaborateur) suivant si on pointait les échecs ou les succès. En clair, dites à quelqu’un qu’il est bon, il va devenir encore meilleur (effet pygmalion), dites-lui qu’il est mauvais, il va dégrader ses performances (l’inverse, nommé effet golem.)
Cet impact, sorte de prophétie autoréalisatrice, a été nommé effet Pygmalion par référence à ce sculpteur chypriote de la mythologie Grecque. Célibataire, Il sculpte une statue d’ivoire représentant une femme d’une telle beauté qu’il en tombe amoureux. Rentrant chez lui après une fête consacrée à Aphrodite, il embrasse la statue qui s’éveille instantanément à la vie, grâce à la déesse. A contrario, le golem est, dans la mystique mythologie juive, un être artificiel incapable de parole et dépourvu de libre-arbitre façonné afin d’assister son créateur.
Mais comment ça fonctionne ?
Pour que cela fonctionne, il a été mis en évidence 3 étapes sur lesquelles la plupart des chercheurs sont d’accord.
- Formation d’attentes différenciées : Le manager forme des attentes spécifiques sur ses équipiers. Ces attentes doivent donc être DIFFÉRENTES d’une personne à l’autre. C’est ce qu’un bon manager fait typiquement lors d’un bon entretien annuel.
- Traitement particulier des équipiers : Suite aux attentes formées à la 1ère étape, la manager se comporte différemment selon les équipiers ; cela est vrai en termes de « quantité » et en termes de « qualité » du management. La manger personnalise son style de management, le soutien qu’il donne, la communication qu’il entretien auprès de chaque personne.
- Les équipiers ressentent que leur manager les considère et les traite de manière adaptée et personnalisée. Leurs comportements et leurs résultats changent et tendent à confirmer les attentes que le manager avait formées à l’origine, à l’étape 1. Il peut se produire alors une « boucle de rétroaction. » C’est-à-dire qu’en observant ces conséquences, le manager va voir que ses attentes sont effectivement confirmées, et va donc renforcer ses attentes (il y croira encore plus, et va accentuer son comportement dans ce sens, etc…)
Pour que l’effet fonctionne, il faut que chacune de ces étapes existe.
Après ces explications, le directeur de l’entreprise a décrété : « Mettons en place de bonnes pratiques pour devenir des pygmalions pour nos collaborateurs. »
Les héros silencieux
Pour matérialiser l’étape 3, il a ainsi été décidé qu’un groupe de travail allait proposer un « système de reconnaissance », permettant de mettre un cadre à la manière dont la direction voulait mettre l’emphase sur les comportements positifs dans cette entreprise.
L’idée n’était pas de concevoir un processus contraignant, mais que l’équipe dirigeante définisse des guides permettant d’utiliser une reconnaissance positive pour faire grandir l’organisation.
Sans décrire par le menu le système qui a été conçu pendant l’accompagnement, je peux en détailler quelques éléments intéressants. Il a été formalisé sous la forme de 2 pyramides face à face. La première décrivant les différents niveaux de ce qui voulait être souligné, encouragé, et la seconde, la forme que pouvait prendre la reconnaissance. Quand on pense reconnaissance, on imagine souvent des actions ou résultats exceptionnels, reconnus par des primes sonnantes et trébuchantes. Ici, il a été déployé dans les premiers étages des deux pyramides des concepts intéressants.
« Si vous jugez un poisson sur ses capacités à grimper aux arbres, il passera sa vie à croire qu’il est stupide »
Albert Einstein
- Les héros silencieux : c’est le titre du premier étage de la pyramide de gauche. Il montre qu’il est important de noter et encourager le travail au quotidien, et les gens qui le font bien, consciencieusement, sans forcément d’éclat ou de visibilité, les fameux héros silencieux : la première mise en application a été de mettre en avant les collaborateurs qui n’avaient eu aucune absence depuis 5 ans.
- Récompense non liquide : La question est venue rapidement sur le tapis, comment récompenser les méritants ? Il a semblé intéressant de mettre en place une possibilité de déconnecter le coté souvent systématique de récompense en primes, en développant d’autres formes, comme le financement par l’entreprise d’activités ludiques, ou sociales.
- Raconter les histoires : C’est le fameux « storytelling » appliqué au management.
Un des directeurs a quand même insisté : « si nous ne disons que ce qui va bien, comment faire pour améliorer ce qui ne va pas et ne pas refaire les erreurs qui sont commises ? »
L’idée n’est pas de ne jamais parler des erreurs ou des écarts. Mais il existe une technique plus efficace que de faire des retours négatifs sur ce qui ne s’est pas bien passé.
Feedbacks vs. feedforwards
Elle porte le nom de feedforward (nourrir vers le futur.) Très simplement, plutôt que de formuler des feedbacks positifs ou négatifs reposant sur une observation ou un constat, la technique de feed forward consiste à formuler des demandes ou à proposer des options ou des solutions tournées vers l’avenir. J’aurai l’occasion de développer cette approche pas si simple à utiliser lors d’un prochain article.