Pourquoi la multiplication des indicateurs de performance (KPI) est-elle contreproductive ?

La multiplication des petits pains

Poussée par l’adage bien connu « on n’améliore que ce qu’on mesure », ainsi que par le jusqu’au-boutisme d’approches processus mal comprises, ce début de 21eme siècle a vu les indicateurs de performance se multiplier comme des petits pains dans beaucoup d’entreprises. Dans une démarche toujours plus analytique, chaque plan stratégique ou projet d’amélioration se doit de passer par une phase de déploiement d’une nouvelle panoplie de mesures très sophistiquée. On évalue les attendus (les indicateurs de sortie), les paramètres influents du processus (les données d’entrée), parfois les causes assignables (empêchant la stabilité du dit processus), et par-dessus tout les indicateurs de performance du processus lui-même.

« Une idée, pour peu qu’on s’y accroche avec une conviction suffisante, qu’on la caresse et la berce avec soin, finira par produire sa propre réalité. »

Paul Watzlawick

Dans une approche résolument déterministe, on imagine qu’en décortiquant le processus de fonctionnement global d’une entreprise en morceaux de plus en plus petits (sous-processus, activités…) et en analysant chacun d’eux, on va arriver à simplifier la compréhension de chaque partie, l’améliorer, et ainsi faciliter l’amélioration de la performance globale, comme par un effet de montage d’un puzzle. Comme beaucoup d’entre vous ont pu le constater sur le terrain, cette approche ne fonctionne pas. Mais pourquoi donc ?

Une histoire de thermomètre et de fièvre

Je vais prendre une analogie médicale pour illustrer mon propos. Mon Directeur Financier d’il y a quelques années avait une belle image pour décrire ce phénomène : « ce n’est pas en rajoutant des thermomètres dans le c… du malade qu’on va faire baisser la fièvre. » On pourrait en effet être tenté d’avoir la même approche dans le cas d’une fatigue chronique chez un patient, par exemple, et de mesurer la fièvre dans le foie, le cœur, les poumons (et pourquoi pas également de multiples autres « constantes ») et de tenter de résoudre un problème de baisse de performance d’un organisme en le découpant par petits morceaux afin de traiter chaque organe séparément.

Ça peut fonctionner lorsqu’on traite un problème aigu localisé (par exemple une appendicite dans notre analogie médicale, ou un souci de qualité de produit lié à une machine défectueuse si on se replace dans le milieu de l’entreprise.) Mais lorsque on cherche à faire progresser un ensemble aussi complexe qu’un corps humain ou une entreprise, l’exercice aboutira dans la grande majorité des cas à l’échec et l’épuisement de l’équipe de docteurs et d’infirmiers (ou de dirigeants et managers) au chevet du « malade. » Ainsi, l’équipe sera forcée de constater que le fonctionnement de l’ensemble ne peut pas s’appréhender simplement au travers de la simple étude de chacune de ses parties.

Des semelles pour ne plus loucher

A l’inverse, une approche plus globale, s’attachant à déterminer les déséquilibres et les corriger, à l’instar des médecines orientales, est clairement plus indiquée quand il s’agit de traiter des problématiques chroniques. Mon podologue m’a ainsi expliqué que j’avais mal au genou, car mon port de tête inclinait ma vision, et provoquait un déséquilibre général de mon corps lors de mes footings hebdomadaires. Des semelles adaptées ont permis un rééquilibrage dynamique de l’ensemble solutionnant ma douleur localisée sur un genou. Un praticien plus analytique m’aurait probablement prescrit une solution localisée, avec des pommades et des anti-inflammatoires, qui m’aurait peut-être momentanément soulagé, tout en ne résolvant rien à terme et provoquant même des déséquilibres supplémentaires, tels des maux d’estomac à cause des cachets.

Une entreprise, avec sa complexité, en particulier celles des humains qui la composent, et des interactions entre eux, se comporte comme un organisme vivant, avec toutes ses énergies, ses émotions, sa fougue et sa volonté… et non pas comme une mécanique froide et prédictible, qu’on peut décortiquer et réparer en changeant un piston ou un joint.

La systémie, c’est d’la dynamique !

« Un système est un ensemble d’éléments en interaction dynamique, organisé en fonction d’un but. »

Joël de Rosnay

Cette vision organique, où on va considérer l’entreprise complexe comme une globalité et pas comme une totalité (simple somme de chaque partie), s’attachant davantage aux équilibres, aux interactions, aux dynamiques et aux finalités, est en fait ce qu’on appelle l’approche systémique. Par rapport à la démarche analytique classique héritée de Descartes, l’approche systémique est plus centrée sur les buts à atteindre (finalités) que sur la recherche des causes. Elle va ainsi davantage se projeter dans le futur, de manière prospective, que dans une analyse mécanique du passé. Utilisant des outils visuels, elle va permettre de cartographier les dynamiques de structure, de processus relationnels et de sens qui, combinées créent une dynamique d’intelligence collective, permettant d’optimiser les ressources, et réduire les freins. Cette cartographie facilitera un diagnostic aidant à comprendre puis à mener des actions afin de rééquilibrer le système le cas échéant.

Instrument efficace pour tenter de comprendre comment fonctionnent les systèmes complexes, en particulier une entreprise, cette démarche est de ce fait particulièrement adaptée pour éclairer et orienter l’action des dirigeants et managers. Ils peuvent se faire aider dans ce sens par des personnes externes rompus à cette logique, qu’ils soient coachs ou consultants.

« Tout est communication : il est impossible de ne pas communiquer. »

Grégory Bateson

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