Le numérique transforme nos métiers et les compétences requises pour effectuer pleinement ses missions. Après plus de 27 ans dans des postes opérationnels, dont 10 ans de direction de sites industriels, Christophe Vernet accompagne les entreprises dans leurs problématiques de management. Il nous éclaire sur l’impact qu’a le numérique sur le management.
Quelle place avait le numérique quand vous avez commencé votre carrière ?
Quand j’ai commencé, les ordinateurs n’existaient pas. Ils sont arrivés 2/3 ans après le début de ma carrière. Au début, nous n’avions qu’un ordinateur pour tout un service.
C’était plutôt un outil connoté informatique/informaticien en entreprise. Ça ne se justifiait pas vraiment en termes d’usage, on avait des ordinateurs, parce que c’était nouveau, sans toujours savoir trop quoi en faire : L’ordinateur a parfois précédé l’usage de l’ordinateur.
Ensuite, il y a eu les réseaux internes qui ont permis de communiquer. C’est l’apparition des mails qui a fondamentalement changé l’usage de l’ordinateur sur le plan professionnel. On a commencé à avoir des ordinateurs personnels pour les managers, puis petit à petit pour tous les salariés.
Le numérique a d’ailleurs très vite modifié les pratiques. On a par exemple pu constater petit à petit la disparition du métier d’assistant qui était très développé dans des taches de gestion du courrier et des agendas (je me souviens de 2/3 assistants par service dans les années 90). Les gens se sont appropriés un certain nombre de tâches centralisées par les assistants.
Le numérique a-t-il fondamentalement transformé les techniques de management ?
Oui, c’est en train de se faire ! Le management a un temps de retard par rapport à d’autres métiers. Les jeunes managers ont très vite intégré le numérique. Ils sont nés avec, il y a quelque chose d’assez évident et naturel. Au top-management aussi, ça s’intègre plus facilement en termes d’impact stratégique.
« L’enjeu n’est plus de savoir à qui on distribue l’information, mais plutôt comment la gérer et de quelle manière la partager. »
C’est le management intermédiaire qui met plus de temps à adopter le numérique. Ce sont souvent de bons experts promus managers. On constate que certains fondent leur capacité de management sur la détention de l’information. Or, on a un surplus d’informations aujourd’hui avec le numérique. L’enjeu n’est donc plus de savoir à qui on distribue l’information, mais plutôt comment la gérer et de quelle manière la partager.
Quels sont les enjeux du management à l’air du numérique ?
Je pense que le véritable enjeu est de passer d’une logique de « pouvoir sur » à une logique de « pouvoir pour ». Les nouvelles générations savent gérer de l’information, zapper d’une tâche à l’autre rapidement.
Le management fait donc face à la diffusion plus large de l’information et à la modification de la notion de temps et d’espace. Les choses vont plus vite, on peut travailler à distance. Il est devenu illusoire de vouloir contrôler l’information ou les agendas. Je me rappelle de débats sur l’organisation de l’espace de travail où le manager devait avoir un bureau fermé avec une vue sur son équipe pour la contrôler.
Ce système de contrôle restreint a atteint ses limites aujourd’hui.
« Le véritable enjeu est de passer d’une logique de « pouvoir sur » à une logique de « pouvoir pour ». »
On vit une uberisation du management. Tout devient de plus en plus collaboratif et partagé. Avant le manager était le leader responsable, effectif et psychologique. Aujourd’hui cette notion de leadership est davantage partagée dans les équipes.
Cela peut-il remettre en question le métier de manager ?
Cela remet en question la manière dont il existe aujourd’hui en termes de valeur ajoutée.
Jusqu’à maintenant le manager distribuait l’information, organisait et contrôlait le travail, avait des compétences techniques. Dans le monde de l’industrie, le manager devait souvent être le meilleur expert du secteur, d’ailleurs.
« La valeur ajoutée du manager est désormais d’aider les équipes à travailler ensemble, à créer du sens, à collaborer. »
Dorénavant, on va attendre des compétences de management autres que techniques. La valeur ajoutée du manager est désormais d’aider les équipes à travailler ensemble, à créer du sens, à collaborer, mais aussi contrer certains effets pervers du numérique (stress, déshumanisation, moins de limite vie privée/vie perso). C’est souvent cette conception du métier qui fait que certains managers se sentent fragilisés et peuvent faire de la rétention d’information. C’est un comportement que je constate encore dans beaucoup d’entreprises.
Est-ce que le numérique peut avoir un effet négatif sur le management ?
Il y a le risque qu’on déshumanise les relations évidemment. Et c’est le rôle du manager de créer du lien dans les équipes pour que les échanges ne se résument pas à des messages envoyés derrière une machine.
Il faut aussi se méfier de l’effet « faussement cool » du numérique, qui doit se justifier dans l’usage et impacter des changements profonds et véritables dans l’entreprise. Ce n’est pas juste de l’image ou du cosmétique, mais un vrai changement culturel !
Mais le numérique ne peut qu’être positif à partir du moment où il permet de supprimer le « pouvoir sur » les autres du manager qui préserve son territoire, et qui ne crée pas de valeur.
Selon vous, quel va être le véritable impact du numérique sur le métier de manager ?
Cela va faire évoluer cette notion de « contrôle » du manager vers une notion de « maitrise ».
Face à ce facteur d’informations en flux continu que permet le numérique, l’enjeu est de s’assurer collectivement que tout ce qu’on fait est maîtrisé, de manière plus collégiale. Pour le manager, cela implique moins de contrôle et plus de planification et d’animation.
Du management directif vers le management participatif, nous arrivons aujourd’hui au management collaboratif.
Cela demande, plus largement, de repenser le mode de gouvernance des entreprises où il sera question d’impliquer les équipes dans la stratégie de l’entreprise. Tout le monde devient finalement manager en partageant du leadership, au-delà du management participatif à la mode dans les années 2000.
Si on regarde l’évolution du management, il y a une certaine logique : du management directif vers le management participatif, nous arrivons aujourd’hui au management collaboratif. Le dirigeant va avoir sa vision globale mais aujourd’hui les entreprises les plus performantes sont celles qui arrivent à co-construire leur stratégie avec leurs salariés toujours plus informés et impliqués.
Christophe et Benjamin Vernet